1. Choix du sexe : témoignages & position du problème
Simone, assistante de direction, se présente au planning familial de Lens. À 35 ans, elle est enceinte de juste 14 semaines. L’échographie vient de lui apprendre que cet enfant est un garçon. Elle a déjà deux garçons. Elle veut une fille. Elle demande une interruption volontaire de grossesse, une IVG. Sa demande, conforme aux limites de temps de l’IVG, est refusée par le médecin, qui considère que mettre au monde un troisième garçon ne constitue pas une situation de détresse suffisamment établie. Simone fait valoir son droit à la liberté d’enfanter. Le médecin oppose sa clause de conscience. Il oriente immédiatement Simone vers un autre centre de planning familial. Même refus.
En Inde, Vijaya, 31 ans, franchit la porte du centre d’échographie pour femmes enceintes de Bangalore. À trois mois et demi, l’échographie indique que le fœtus est une fille. Vijaya a déjà trois filles. Elle est cariste dans une usine de textile, son mari soudeur sur un chantier naval. Leurs revenus sont modestes, suffisants pour élever quatre enfants en se saignant aux quatre veines. Mais pas assez pour payer à cette quatrième fille la dot qui lui permettrait de se marier. Avec déjà trois filles, l’avenir est sombre. Vijaya passe directement de la salle d’échographie à la salle d’opération pour se faire avorter. Elle a payé 20 euros, beaucoup moins que pour une dot.
Indira est née à Bombay mais elle vit à Toronto. Enceinte de 4 mois, elle ne veut pas de fille. Au Canada, l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG, est légale. Mais l’échographie ne se fait pas pour identifier le sexe du fœtus en vue d’un avortement. Indira franchit donc la frontière. Elle fait son échographie aux États-Unis. On lui apprend que son fœtus est une fille. Elle retourne à Toronto demander l’IVG sans en donner la raison. Elle l’obtient, elle y a droit.
Souraya, à Amman en Jordanie, sollicite une fécondation in vitro. Elle n’est aucunement stérile mais, pour ce premier enfant, elle exige un garçon. Elle est riche. Elle payera la procréation artificielle et l’analyse biologique qui permettra de distinguer les embryons masculins des embryons féminins. Les premiers seront transférés dans son utérus. Les seconds seront détruits.
À Londres, Lucy, qui a déjà trois garçons, souhaite bénéficier de la même démarche pour une fille. Elle lui est refusée, la loi interdisant le choix du sexe de l’enfant pour convenance personnelle, quand les raisons ne sont pas médicales.
Pascale patiente à la consultation de génétique de l’Hôpital américain de Paris. Son premier enfant est décédé d’une maladie génétique liée au chromosome X, c’est-à-dire qu’elle affecte seulement les garçons et épargne les filles qui ne font que transmettre la maladie, comme pour l’hémophilie. Pascale est enceinte de six semaines, c’est tout. Si cet enfant est un garçon il lui a été conseillé de ne pas le garder. Le gène de la maladie dont il serait affecté n’est pas encore identifié ni localisé – bientôt sans doute – et rien ne permettrait dans l’état actuel des connaissances de savoir si un garçon serait ou non malade. Alors on va lui faire une simple prise de sang, et déterminer sur cet échantillon, dès les premières semaines de la grossesse, si l’embryon est un garçon ou une fille. Son médecin lui a fortement conseillé la démarche. Assise à côté de Pascale, Élisabeth est au même terme de sa grossesse. Elle vient demander la prise de sang parce qu’elle veut une fille, seulement une fille. Si l’embryon est un garçon elle fera une IVG par médicaments, le RU 486. La demande d’Élisabeth lui est refusée parce qu’elle n’est pas fondée sur une justification médicale. En France, on ne choisit pas, par préférence, le sexe de son futur enfant en utilisant les techniques de la médecine.
En même temps, de l’autre côte de l’Atlantique, les journaux de New York passaient le plus légalement du monde une réclame pour une très fameuse clinique de procréation médicalement assistée de Virginie : « Voulez vous choisir le sexe de votre prochain enfant ? Procédez par tri des spermatozoïdes. Prix : 5 000 US $ ». Aux États-Unis c’est permis.
En dehors des indications médicales, le choix du sexe de l’enfant pour des raisons de convenance personnelle dépend de la géographie, des lois de chaque pays et plus encore de leurs coutumes. Partout, la bataille fait rage entre les défenseurs de l’égalité des sexes, qui s’opposent à un choix discriminatoire, non médicalement justifié, au détriment de l’un ou l’autre sexe, et de l’autre côté les avocats de la liberté de procréation, les partisans du respect de l’autonomie des femmes qui pourraient librement, et seules, choisir le sort de leur fœtus. Seulement ce principe d’autonomie a conduit en Inde, en Chine, au sacrifice par avortement de millions de filles. Ce principe reste-t-il moralement, éthiquement acceptable et universellement applicable ? Si oui, il s’accommode et endosse la responsabilité du « génocide » des filles en Asie. Mais quel droit, à l’inverse, auraient les Comités d’Éthique du Nord à s’immiscer dans les coutumes séculaires, les traditions, les contraintes économiques des sociétés du Sud, la Chine, l’Inde, sans risquer d’y provoquer des tragédies pires encore ? Les recommandations de l’Éthique revêtent-elles obligatoirement une vocation d’universalité ou bien tiennent-elles compte des exceptions culturelles ?
En pratique, la question du choix du sexe de l’enfant pour des raisons de convenance personnelle se pose surtout à propos de l’avortement, la méthode la plus largement utilisée, partout dans le monde, pour y procéder. Les autres techniques : le tri des spermatozoïdes, la fécondation in vitro, demeurent plus confidentielles ; elles sont bien moins accessibles, trop sophistiquées, réservées à une « élite » et, dans les pays développés, elles restent quantitativement très minoritaires par rapport à l’ampleur mondiale de la pratique des avortements sélectifs pour choix du sexe. Mais ces méthodes sans avortement éclairent la discussion éthique d’une lumière indispensable. Beaucoup de ceux qui condamnent l’avortement pour sélection du sexe, n’objecteraient peut-être pas au tri des spermatozoïdes. Mais alors, si l’on peut choisir le sexe de son enfant de cette façon pourquoi s’arrêter en chemin et ne pas étendre la permission à toutes les techniques ? De même, si l’on tolère l’avortement des filles en Inde parce que les familles pauvres n’ont pas d’autre choix, sinon à se retrouver ruinées, pourquoi serait-ce interdit en Angleterre ? Enfin si l’IVG est légale, pourquoi cette liberté se perdrait-elle quand il s’agit de choisir soi-même le sexe de son enfant ?
Brigitte l’a bien compris. Elle est enceinte de jumeaux, un garçon et une fille. Elle a déjà deux garçons. Elle veut une fille. Elle ne gardera que le fœtus fille et demande une IVG sélective sur le fœtus garçon. Sinon elle procédera à une IVG des deux fœtus. Le médecin préfère-t-il « sauver » la fille en acceptant l’IVG sélective sur le garçon ou bien perdre les deux enfants en la refusant ?
Paralysée, l’éthique se trouble.
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En Inde, Vijaya, 31 ans, franchit la porte du centre d’échographie pour femmes enceintes de Bangalore. À trois mois et demi, l’échographie indique que le fœtus est une fille. Vijaya a déjà trois filles. Elle est cariste dans une usine de textile, son mari soudeur sur un chantier naval. Leurs revenus sont modestes, suffisants pour élever quatre enfants en se saignant aux quatre veines. Mais pas assez pour payer à cette quatrième fille la dot qui lui permettrait de se marier. Avec déjà trois filles, l’avenir est sombre. Vijaya passe directement de la salle d’échographie à la salle d’opération pour se faire avorter. Elle a payé 20 euros, beaucoup moins que pour une dot.
Indira est née à Bombay mais elle vit à Toronto. Enceinte de 4 mois, elle ne veut pas de fille. Au Canada, l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG, est légale. Mais l’échographie ne se fait pas pour identifier le sexe du fœtus en vue d’un avortement. Indira franchit donc la frontière. Elle fait son échographie aux États-Unis. On lui apprend que son fœtus est une fille. Elle retourne à Toronto demander l’IVG sans en donner la raison. Elle l’obtient, elle y a droit.
Souraya, à Amman en Jordanie, sollicite une fécondation in vitro. Elle n’est aucunement stérile mais, pour ce premier enfant, elle exige un garçon. Elle est riche. Elle payera la procréation artificielle et l’analyse biologique qui permettra de distinguer les embryons masculins des embryons féminins. Les premiers seront transférés dans son utérus. Les seconds seront détruits.
À Londres, Lucy, qui a déjà trois garçons, souhaite bénéficier de la même démarche pour une fille. Elle lui est refusée, la loi interdisant le choix du sexe de l’enfant pour convenance personnelle, quand les raisons ne sont pas médicales.
Pascale patiente à la consultation de génétique de l’Hôpital américain de Paris. Son premier enfant est décédé d’une maladie génétique liée au chromosome X, c’est-à-dire qu’elle affecte seulement les garçons et épargne les filles qui ne font que transmettre la maladie, comme pour l’hémophilie. Pascale est enceinte de six semaines, c’est tout. Si cet enfant est un garçon il lui a été conseillé de ne pas le garder. Le gène de la maladie dont il serait affecté n’est pas encore identifié ni localisé – bientôt sans doute – et rien ne permettrait dans l’état actuel des connaissances de savoir si un garçon serait ou non malade. Alors on va lui faire une simple prise de sang, et déterminer sur cet échantillon, dès les premières semaines de la grossesse, si l’embryon est un garçon ou une fille. Son médecin lui a fortement conseillé la démarche. Assise à côté de Pascale, Élisabeth est au même terme de sa grossesse. Elle vient demander la prise de sang parce qu’elle veut une fille, seulement une fille. Si l’embryon est un garçon elle fera une IVG par médicaments, le RU 486. La demande d’Élisabeth lui est refusée parce qu’elle n’est pas fondée sur une justification médicale. En France, on ne choisit pas, par préférence, le sexe de son futur enfant en utilisant les techniques de la médecine.
En même temps, de l’autre côte de l’Atlantique, les journaux de New York passaient le plus légalement du monde une réclame pour une très fameuse clinique de procréation médicalement assistée de Virginie : « Voulez vous choisir le sexe de votre prochain enfant ? Procédez par tri des spermatozoïdes. Prix : 5 000 US $ ». Aux États-Unis c’est permis.
En dehors des indications médicales, le choix du sexe de l’enfant pour des raisons de convenance personnelle dépend de la géographie, des lois de chaque pays et plus encore de leurs coutumes. Partout, la bataille fait rage entre les défenseurs de l’égalité des sexes, qui s’opposent à un choix discriminatoire, non médicalement justifié, au détriment de l’un ou l’autre sexe, et de l’autre côté les avocats de la liberté de procréation, les partisans du respect de l’autonomie des femmes qui pourraient librement, et seules, choisir le sort de leur fœtus. Seulement ce principe d’autonomie a conduit en Inde, en Chine, au sacrifice par avortement de millions de filles. Ce principe reste-t-il moralement, éthiquement acceptable et universellement applicable ? Si oui, il s’accommode et endosse la responsabilité du « génocide » des filles en Asie. Mais quel droit, à l’inverse, auraient les Comités d’Éthique du Nord à s’immiscer dans les coutumes séculaires, les traditions, les contraintes économiques des sociétés du Sud, la Chine, l’Inde, sans risquer d’y provoquer des tragédies pires encore ? Les recommandations de l’Éthique revêtent-elles obligatoirement une vocation d’universalité ou bien tiennent-elles compte des exceptions culturelles ?
En pratique, la question du choix du sexe de l’enfant pour des raisons de convenance personnelle se pose surtout à propos de l’avortement, la méthode la plus largement utilisée, partout dans le monde, pour y procéder. Les autres techniques : le tri des spermatozoïdes, la fécondation in vitro, demeurent plus confidentielles ; elles sont bien moins accessibles, trop sophistiquées, réservées à une « élite » et, dans les pays développés, elles restent quantitativement très minoritaires par rapport à l’ampleur mondiale de la pratique des avortements sélectifs pour choix du sexe. Mais ces méthodes sans avortement éclairent la discussion éthique d’une lumière indispensable. Beaucoup de ceux qui condamnent l’avortement pour sélection du sexe, n’objecteraient peut-être pas au tri des spermatozoïdes. Mais alors, si l’on peut choisir le sexe de son enfant de cette façon pourquoi s’arrêter en chemin et ne pas étendre la permission à toutes les techniques ? De même, si l’on tolère l’avortement des filles en Inde parce que les familles pauvres n’ont pas d’autre choix, sinon à se retrouver ruinées, pourquoi serait-ce interdit en Angleterre ? Enfin si l’IVG est légale, pourquoi cette liberté se perdrait-elle quand il s’agit de choisir soi-même le sexe de son enfant ?
Brigitte l’a bien compris. Elle est enceinte de jumeaux, un garçon et une fille. Elle a déjà deux garçons. Elle veut une fille. Elle ne gardera que le fœtus fille et demande une IVG sélective sur le fœtus garçon. Sinon elle procédera à une IVG des deux fœtus. Le médecin préfère-t-il « sauver » la fille en acceptant l’IVG sélective sur le garçon ou bien perdre les deux enfants en la refusant ?
Paralysée, l’éthique se trouble.
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