7.1. Le débat éthique : POUR

La passion anime un débat d’idées qui oppose les partisans farouches de la liberté absolue d’avoir des enfants, comme on veut, avec qui on veut, quand on veut, du sexe que l’on veut, en tant qu’expression inaliénable de la Liberté. Contre eux se dressent les défenseurs de l’égalité des genres comme expression tout autant inaliénable du principe d’Égalité des sexes. Liberté, Égalité… comment les départager pour asseoir au mieux la Fraternité dans les fratries ?

La liberté de procréation, l’autonomie des personnes, comme l’appellent les Anglo-Saxons, considère comme sacrilège toute interdiction et même toute restriction du choix du sexe de l’enfant. Il appartient aux seuls parents, ni à l’État ni aux Sociétés savantes, de décider quel enfant ils désirent et personne ne peut s’y substituer. Puisqu’existent déjà dans beaucoup de pays la contraception et le droit à l’avortement, des conquêtes décisives pour la liberté des femmes, il est inadmissible de ne pas y ajouter le droit de mettre au monde un enfant dont le sexe a été choisi. La Constitution américaine, par exemple, garantit le droit de fonder une famille et d’avoir des enfants, sans restriction. Toute intrusion dans la vie privée des couples paraîtrait inacceptable, insupportable, quasi dictatoriale, et surtout injustifiée. Elle peut même être dangereuse si elle contrevient aux contraintes sociales imposées.

La Santé comme exigence sociale.
S’opposer en effet à la sélection du sexe peut engendrer de très graves préjudices personnels, culturels ou sociétaux. Si la Santé est pour l’Organisation Mondiale de la Santé, l’OMS, un bien-être physique, mental mais aussi social, il est contraire à cette Charte d’empêcher des citoyens de satisfaire les exigences sociales de leur culture qui leur imposerait au moins un garçon. Que dire si cette demande répond à une injonction religieuse, comme pour les religions musulmane ou juive. Que dire surtout, si la naissance d’une fille supplémentaire, en Inde, vient à ruiner une famille pauvre, encore soumise, par un jeu sociétal indestructible et malgré l’interdiction légale, à l’obligation d’une dot. Les Comités d’Éthique du Nord ne peuvent pas nourrir le confort de leur bonne conscience avec la détresse des familles d’Asie. L’ingérence culturelle, morale, ne peut être vécue que comme un « néocolonialisme impérialiste ». À chaque culture son éthique.

L’absence de risque sociétal.
Et d’abord, qui cela gênerait-il que les parents puissent choisir le sexe de leur enfant ? Y aurait-il péril sociétal, risque de distorsion de la répartition des genres dans la société, ici ou ailleurs ? En Angleterre, la Haute autorité pour la fertilité et l’embryologie humaines, la HFEA, a mené en 2003 à la demande du Secrétaire d’État à la santé, une enquête d’opinion avant d’élaborer une réglementation sur la sélection du sexe hors raison médicale. Mille hommes et femmes âgés de 18 à 45 ans ont été interrogés. 16 % ont répondu que pour le premier enfant ils préféraient un garçon, 10 % qu’ils préféraient une fille, 73 % qu’ils n’avaient pas de préférence. S’ils avaient le choix, 3 % ne voudraient que des garçons, 2 % que des filles, 6 % plus de garçons que de filles, 68 % voudraient autant de garçons que de filles et 16 % s’en fichaient. S’ils ne devaient avoir qu’un seul enfant, 26 % voudraient un garçon, 17 % voudraient une fille, et 57 % accepteraient l’un ou l’autre. Enfin, si le tri des spermatozoïdes était proposé, par trieur cellulaire de type Microsort®, au prix de £ 1 250, 21 % profiteraient de la technique, 7 % n’avaient pas d’opinion et 71 % déclaraient qu’il n’était pas question de l’utiliser.
La même enquête a été menée en Allemagne. Parmi les mille couples interrogés, 1 % ne souhaitaient que des garçons, 1 % ne désiraient que des filles, 4 % souhaitaient plus de garçons que de filles, 3 % plus de filles que de garçons, 30 % voulaient autant de filles que de garçons et 58 % n’avaient pas de préférence. Si un trieur de spermatozoïdes de type Microsort® était accessible, au prix quand même de 2 000 euros, 6 % le solliciteraient, 92 % ne voudraient pas en entendre parler, 2 % ne savaient pas. Si enfin à la place d’un tri de sperme on leur offrait de prendre une simple pilule, rose pour avoir une fille, bleue pour avoir un garçon, 90 % des personnes interrogées maintiendraient leur refus d’y avoir accès.
Les statistiques des « cliniques de sélection du sexe » sont d’ailleurs éloquentes. Il existe à peu près dans le monde 65 centres qui offrent, ou plutôt qui vendent, le tri des spermatozoïdes pour choisir librement le sexe de l’enfant. À Londres, la « clinique du Genre » a traité plus de 800 couples au début des années quatre-vingt-dix. Tous n’avaient que des filles ou que des garçons, deux en moyenne, et voulaient un enfant de l’autre sexe, autant de fois une fille qu’un garçon. Même expérience dans les « cliniques du Genre » à New York, en Virginie ou dans le Montana aux États-Unis. Une toute récente enquête en Hongrie a conclu qu’une minorité de personnes interrogées, moins de 25 %, aimeraient choisir le sexe de leur enfant, qu’ils demanderaient pratiquement autant de filles que de garçons. Sans danger sociétal, la liberté du choix du sexe de l’enfant ne constitue aucunement une discrimination à l’encontre de l’un ou l’autre genre. Au contraire. L’objectif de cette liberté est de permettre une saine répartition des garçons et des filles au sein de la famille. Et les filles y sont préférées autant de fois que les garçons. L’imputation de discrimination est infondée quand, après deux garçons, on souhaite une fille, ou inversement. La sélection du sexe ne menace pas non plus l’équilibre des genres. L’expérience des pays développés prouve donc que la demande de sélection du sexe s’équilibre entre filles et garçons et que le souhait d’homogénéité de la répartition des sexes dans une famille, la « balance familiale », ne représente aucun danger sociétal.

Primum non nocere.
Le libre choix du sexe n’est donc pas nuisible, au contraire, et il ne fait de tort à personne. Il respecte le principe séculaire du « primum non nocere », « d’abord ne pas nuire », immortalisé par Ambroise Paré. La sélection du sexe ne nuit en effet pas aux parents, puisqu’ils la souhaitent. Elle ne nuit pas à la société puisque dans les pays industrialisés elle ne menace pas l’équilibre des genres et que dans les pays émergents elle finit, à la longue, par valoriser les filles. Si dans les pays émergents la sélection du sexe élimine les filles, elle finit aussi en effet par les valoriser et les rendre plus que précieuses. Il y faut du temps mais on y vient ; la nature rétablit mieux les équilibres en péril que ne le feraient des lois qui d’ailleurs ne sont pas respectées, sans doute parce que, du point de vue des « libertaires », elles ne sont pas respectables. La libre sélection du sexe, enfin, ne nuit pas à l’enfant de sexe non choisi puisqu’ainsi il n’existe pas, et qu’il n’a ni les raisons, ni les moyens de se plaindre. C’est la thèse de David McCarthy.

David McCarthy, enseigne la philosophie à l’Université de Bristol, en Angleterre. Il explique pourquoi la sélection du sexe, même hors raison médicale, doit être légale [18]. Il plaide surtout pour la sélection du sexe par l’usage du diagnostic préimplantatoire.

Le principe de liberté absolue.
Toute interdiction, en général, constitue à ses yeux une restriction de liberté. Nos sociétés reconnaissent la liberté de pensée, la liberté d’expression, la liberté de religion, sans réserve. Elles doivent reconnaître pareillement la liberté de procréation. Chaque individu a le droit, pense-t-il, de décider pour ses enfants. La preuve : la liberté de l’avortement. On peut choisir d’interrompre une grossesse pour un mongolisme, pour un bec-de-lièvre du fœtus découvert à l’échographie, pourquoi ne pas choisir le sexe de son enfant? D. McCarthy fait aussi remarquer que, bien qu’en minorité, les partisans de la sélection du sexe pourraient un jour imposer sans scandale leur point de vue de liberté à une majorité qui ne partage pas encore cette conviction. L’abolition de la peine de mort a été adoptée en son temps contre une opinion majoritaire. Et d’ailleurs la légalisation de la libre sélection du sexe ne restreindrait aucune liberté. Personne ne serait obligé d’y avoir recours, il n’y aurait pas préjudice à l’encontre de ceux qui ne voudraient pas user de cette liberté, elle ne leur nuirait pas, alors que l’interdiction du choix ampute une liberté fondamentale, et lèse les personnes qui la souhaiteraient et qui en sont privées.

Le principe de l’absence de préjudice à une « non-personne».
D. McCarthy développe surtout le principe plus philosophique de l’absence de préjudice sur une « non-personne », en anglais le « non person affecting principle » de M. Parfit. Admettons qu’un enfant reproche à ses parents de lui avoir choisi un sexe qu’il réprouve. Ce reproche ne saurait se justifier puisque si ses parents n’avaient pas utilisé des techniques de sélection du sexe, et pour le sexe qu’ils souhaitaient, leur enfant ne serait jamais venu au monde, il n’aurait pas existé. Si c’est un garçon qui se plaint d’avoir été fait garçon, fille il n’aurait pas été lui-même, mais quelqu’un d’autre justement, qui n’existe pas, une non-personne qui n’a subi de ce fait aucun préjudice. Plutôt que d’inventer un préjudice à l’encontre de quelqu’un qui n’existe pas, il serait beaucoup plus judicieux, pense D. McCarthy, de condamner les femmes qui fument pendant leur grossesse et qui portent préjudice à leur fœtus, car lui existe bel et bien.

Le coût de la sélection.
Après cette rhétorique philosophique, D. McCarthy réfute les autres arguments qui s’opposent à la légalisation de la sélection du sexe, notamment l’objection du coût financier et du bon usage des ressources limitées. La sélection du sexe coûte cher, certes, et détourne des moyens financiers d’objectifs de soins plus nécessaires. Peut-être, mais les gens payent, et parfois des fortunes, pour de la chirurgie esthétique ; il n’y a aucune raison de le leur reprocher pour la procréation et de ne pas les laisser faire. Seuls les plus fortunés peuvent réaliser leur souhait, d’accord, mais il en va de même pour la chirurgie esthétique ou pour des soins spécialisés dispensés par l’exercice privé de la médecine. Par exemple tout le monde ne peut pas se payer, faute de moyens suffisants, une opération de chirurgie pratiquée en clinique par le chirurgien le plus qualifié. La même intervention, pratiquée dans un établissement subventionné par l’assurance-maladie et réalisée par un chirurgien de moindre talent, constitue une injustice bien pire. L’accès aux soins reste inégalitaire, il faut l’admettre aussi pour la procréation.

L’absence de risque eugéniste.
D. McCarthy évoque enfin, amorcé par le libre choix du sexe, le risque de la « pente glissante » vers un eugénisme soft qui conduirait ensuite à permettre d’améliorer les performances de l’enfant à naître, sa taille, ses dons préférentiels etc. D. McCarthy n’objecte d’ailleurs pas foncièrement à une telle quête de l’amélioration des qualités de l’enfant. Et puis, il ne voit pas en quoi la sélection du sexe favoriserait cette quête si un jour elle était par hasard majoritairement acceptée. On peut, souligne D. McCarthy, choisir le sexe de son enfant sans pour autant exiger pour lui, par le choix d’autres traits génétiques, un fabuleux destin.

Les opposants de la sélection du sexe, ceux qui sont contre, ne s’en laissent pas conter et répondent aux arguments de D. McCarthy.

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