3. Le tri des spermatozoïdes pour le choix du sexe de l’enfant

Eh bien non, la méthode de tri des spermatozoïdes n’est pas encore suffisamment fiable pour s’inscrire dans les techniques médicales habituelles de sélection du sexe de l’enfant. Elle reste trop lourde, trop sophistiquée pour prétendre à la vulgarisation, donc à une large diffusion qui la rendrait facilement accessible. Et pourtant elle est hautement séduisante. Elle apporte au débat éthique un éclairage original.

Chaque spermatozoïde ne comporte qu’un seul chromosome sexuel, X ou Y. La fécondation de l’ovocyte, qui, lui, est exclusivement X, par un spermatozoïde X produira une fille XX. La fécondation par un spermatozoïde Y produira un garçon XY. La séparation des spermatozoïdes X et Y peut s’opérer assez précisément sur des trieurs cellulaires, les cytomètres de flux (Microsort®). Les spermatozoïdes X possèdent 3 % d’ADN de plus que les spermatozoïdes Y, le chromosome X étant plus grand que l’Y. Marqués par des sondes colorées, les spermatozoïdes X sont plus lumineux que les Y et il est possible ainsi de les trier. Mais l’opération est longue, onéreuse, elle exige de marquer les noyaux des spermatozoïdes par des sondes fluorescentes risquant d’altérer leur capacité de fécondation. La technique réduit le nombre des spermatozoïdes recueillis en fin de procédure, au point de compromettre parfois les chances de fécondation. Alors la méthode s’est simplifiée, allégée, avec l’espoir de la banaliser. C’est la technique d’Ericsson. Les spermatozoïdes sont donc filtrés sur des colonnes à gradient de sérum albumine, un procédé effectivement rapide, simple et peu coûteux. Malheureusement la précision laisse à désirer. Elle convient mieux à la sélection des filles, car elle sélectionne plus facilement et en plus grand nombre, les spermatozoïdes X que les spermatozoïdes Y. Néanmoins, avec cette méthode de tri suivie d’une insémination dans l’utérus de la femme de la fraction recueillie, le taux de naissances de garçons, habituellement pas mieux que 60 %, peut atteindre 83 %, ce qui devient significativement plus élevé que le simple fait du hasard. Le tri des spermatozoïdes sur colonne d’albumine augmente donc la chance de faire naître un garçon, mais elle ne la garantit pas. Aux États-Unis, plusieurs dizaines de cliniques de procréation médicalement assistée proposent, pour 5 000 US $, de choisir le sexe de l’enfant à naître, publicité à l’appui et réclames dans les journaux. Elles utilisent les trieurs de cellule Microsort®, les plus sophistiquées des machines. Les risques d’échec font partie des contrats. La réclame sur le site Internet du Centre de Reproduction Humaine du Dr Norbert Gleicher, à Chicago, précise que la sélection du sexe à partir de la séparation des spermatozoïdes sur trieurs cellulaires est « virtuellement » toujours exacte.

Le perfectionnement des appareils de tri des spermatozoïdes fait encore l’objet de recherches actives. La première condition de leur commercialisation serait de satisfaire aux objections éthiques. Éthiquement pourtant, la méthode semble la moins contestable. Elle ne détruit aucun embryon, elle n’interrompt aucune grossesse, elle n’exige aucune manœuvre traumatisante, ni ponction, ni biopsie. Les objections restent du domaine de la philosophie. Une technique simple, indolore, bon marché, si elle est répandue à large échelle, facilement diffusible, en somme un bien de consommation banalisé, risque de généraliser la pratique du choix du sexe de l’enfant et d’engendrer un déséquilibre du rapport entre filles et garçons dans la population. Sachant qu’il manque en Inde, en Chine, plusieurs dizaines de millions de filles, la crainte se justifie. En fait dans les sociétés occidentales, Amérique du Nord, Allemagne, Angleterre, où ont prospéré un temps les centres de sélection du sexe du fœtus, les couples demandent autant de fois des garçons que des filles. Le sex ratio n’y court aucun danger. La demande reste d’ailleurs quantitativement marginale, elle sera analysée plus loin dans ses détails. Non, l’objection demeure sur le principe. Est-il légitime d’accepter une discrimination entre les sexes, de fonder des choix sur des stéréotypes culturels que les adversaires du choix du sexe tiennent pour hautement critiquables ? Là se pose en fait la question de fond à propos du choix du sexe de son enfant pour convenance personnelle. Là se campent aussi les positions opposées des tenants de la liberté de procréation d’une part et, d’autre part, celles des adversaires de la discrimination des sexes ou des « genres » comme il convient de dire en langage d’expert aujourd’hui. Une psychologue de la faculté de Médecine d’Auckland en Nouvelle-Zélande, V.J. Grant [2] explique même qu’il existe beaucoup d’arguments psychologiques et biologiques pour suggérer que le sexe de l’enfant n’est pas après tout le fruit du hasard. La détermination naturelle du sexe du fœtus chez les mammifères pourrait procéder d’un processus finement adapté, tel que la mère concevrait spontanément un enfant du sexe qu’elle serait au mieux à même d’élever. Ces arguments ne visent d’ailleurs pas que le tri des spermatozoïdes et les différentes rhétoriques s’adressent en fait à l’ensemble des méthodes appliquées à la sélection du sexe. Elles revêtent notamment toute leur pertinence à l’égard de la méthode la plus répandue, et de loin, à savoir la sélection du sexe par avortement. Il conviendra donc d’y revenir et de les discuter après avoir passé en revue l’ensemble des pratiques en cause. On peut remarquer quand même que le tri des spermatozoïdes, s’il était adopté, ne réglera pas la question de l’élimination des filles en Inde et en Chine, par avortement ou infanticide. Les populations rurales qui procèdent à ces pratiques n’ont pas accès aux cytomètres de flux, elles n’ont pas les moyens de payer l’examen. Surtout, elles ne planifient jamais les grossesses, elles ne décident du choix du sexe que sur des grossesses déjà évoluées, involontaires et non évitées. Une démarche a priori vers un trieur de sperme leur serait, en vaste majorité, totalement étrangère.

Le tri des spermatozoïdes, néanmoins, parce qu’il intervient avant la conception, parvient à rassembler une majorité d’opinions non hostiles. Le Professeur Claude Sureau, un Français, a créé au sein de la Fédération Internationale des Gynécologues Obstétriciens, la FIGO, un Comité d’Éthique qu’il a longtemps présidé. Ce Comité est chargé d’émettre des Recommandations destinées aux praticiens du monde entier par l’intermédiaire de leurs Sociétés médicales et scientifiques nationales. Sur la sélection du sexe pour convenance personnelle, le Comité formulait en 1994 l’opinion suivante [3] : « La sélection du sexe avant la conception peut être justifiée en raison de considérations sociales dans certains cas, afin de permettre aux enfants de chaque sexe de bénéficier de l’amour et de l’attention de leurs parents. Une telle indication sociale ne saurait se justifier que dans la mesure où elle ne s’oppose pas aux autres valeurs de la société dans laquelle elle se situe. La sélection du sexe avant la conception ne doit jamais être utilisée comme un moyen de discrimination sexiste, en particulier à l’encontre du sexe féminin ». Mais depuis, le Comité d’Éthique de la FIGO a un peu changé d’avis. La question de la sélection du sexe y a été rediscutée récemment et formulée différemment. Le Comité récuse maintenant tout choix du sexe par convenance personnelle, y compris avant la conception. Il faudra y revenir.

En Angleterre, l’agrément des centres d’Assistance Médicale à la procréation, la PMA, est délivré par la Haute Autorité en Fertilité et Embryologie Humaines, la HFEA. Le tri des spermatozoïdes échappe à l’agrément. Pendant dix ans, de 1993 à 2003, entre 150 et 200 couples chaque année sollicitaient un tri de spermatozoïde pour choisir le sexe de leur enfant. Le coût était quand même de £ 4 000 pour quatre tentatives. Aux États-Unis il est « seulement » de $ 600 par tentative. Puis la HFEA a inscrit dans son Code de Pratique, qui fait force de loi au Royaume-Uni, que le tri des spermatozoïdes était contraire à l’éthique. Il est donc interdit dans les centres sous licence du Ministère de la Santé. Cette interdiction, qui ne concerne pas les indications médicales, est justifiée par le fait que, comme toutes les autres méthodes de sélection du sexe, dont le tri des embryons interdit par la HFEA depuis 1999, le tri des spermatozoïdes constitue une discrimination des genres. En fait, pour équilibrer filles et garçons dans la famille les couples anglais souhaitaient aussi souvent des garçons que des filles. Les couples américains eux demandent à 80 %… des filles. Un argument pratique de la HFEA est que le tri du sperme n’est pas fiable, au pire à 60 % par les colonnes d’albumine, au mieux 90 % par les trieurs cellulaires. L’enfant né d’un échec du tri, et donc du sexe non souhaité, risque de pâtir de la désaffection de ses parents. En réalité la HFEA a porté une interdiction globale sur tout usage des techniques médicales pour un objectif autre que la transmission possible d’une maladie génétique grave liée au sexe.

En mai 2001 le Comité d’Éthique de la Société Américaine pour la Médecine de Reproduction, ASRM, publiait [4] un avis très permissif sur la sélection du sexe avant la conception : « Tant que n’émergeront pas des arguments plus fondés (que la discrimination des genres) ou bien qu’il en soit démontré des effets à l’évidence néfastes, toute condamnation éthique de la sélection du sexe de l’enfant avant la conception serait injustifiée ». Aussitôt, le New York Times, le 28 septembre 2001, titrait sous la plume de sa journaliste Gina Kolata : « Les Autorités éthiques sur la Stérilité approuvent la sélection du sexe ». Et le British Medical Journal, la plus prestigieuse revue médicale de Grande-Bretagne, publiait, le 13 octobre 2001, la nouvelle : « Les médecins US disent que la sélection du sexe pour des raisons non médicales est acceptable ». Les médecins US ne se prononçaient en réalité que sur la sélection du sexe avant la conception par tri des spermatozoïdes. Pour le choix du sexe par le tri des embryons, il en va tout autrement.

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