4. Le choix du sexe par le tri des embryons

Louise Brown, le premier « bébé-éprouvette » est née en Angleterre en juin 1978 grâce à Robert Edwards, le biologiste, et à Patrick Steptoe, le gynécologue. Ils avaient réussi les premiers à artificiellement féconder des ovules avec des spermatozoïdes, in vitro, en dehors du corps de la femme. Les médecins disposaient dès lors d’embryons humains produits en laboratoire. Ils n’ont pu résister à la tentation d’en analyser le contenu génétique et ils ont commencé par identifier les chromosomes sexuels, XX ou XY de ces embryons.

Le promoteur de la méthode, Allan Handyside, au Hammersmith Hospital de Londres, inventait ainsi à la fin des années quatre-vingt le « diagnostic préimplantatoire ». Pour les parents qui risquaient de transmettre une maladie génétique liée au sexe, bien qu’ils ne soient pas stériles, il était procédé à une fécondation in vitro. Sous microscope, les embryons au stade de huit cellules étaient dépouillés d’une ou deux de ces cellules. Le sexe des embryons produits y était analysé, par autoradiographie au début de la technique, puis par biologie moléculaire. Les embryons dont le sexe permettait d’affirmer qu’ils ne portaient pas la maladie étaient replacés dans l’utérus de la femme, les autres étaient détruits. Rapidement, la méthode s’est étendue à l’identification de maladies génétiques non liées au sexe, en premier la mucoviscidose. Maintenant plusieurs centaines de gènes de maladies graves ont été localisés et sont reconnaissables sur les embryons par diagnostic préimplantatoire. Médicalement, le diagnostic préimplantatoire sur les chromosomes sexuels est entièrement légitime quand il s’agit de devoir identifier le sexe des embryons pour faire obstacle à la transmission d’une maladie génétique liée au sexe. Cette identification du sexe de l’embryon ne demande que quelques heures grâce à la coloration des chromosomes X et Y par des sondes fluorescentes « d’hybridation in situ ».

Reste l’identification pour convenance personnelle du sexe des embryons par diagnostic préimplantatoire. Tel couple souhaite un garçon ou une fille. Il se présente dans un centre de procréation médicalement assistée complaisant, il passe l’épreuve de la fécondation in vitro, et ne fait transférer dans l’utérus de la femme que les embryons du sexe choisi. Là, l’éthique se met à grincer, mais pas pour tous. L’éthique grince parce que la PMA est réservée à un petit nombre d’élus, fortunés, vivant dans les pays qui en disposent. Les Centres de PMA sont inaccessibles pour la vaste majorité des couples à l’échelle mondiale. La PMA représente une épreuve physique et affective pour la femme, elle n’est pas dépourvue de risque médical. Malgré ces objections, les couples privilégiés peuvent choisir par PMA le sexe de leur enfant en Inde, malgré l’interdiction, ou dans plusieurs pays du Moyen Orient, en Égypte ou en Jordanie, qui privilégient les garçons et acceptent, eux, tous les moyens qui permettent d’en obtenir. Depuis l’avènement du diagnostic préimplantatoire, la bataille des idées, et des intérêts, fait rage pour savoir s’il est licite d’étendre l’usage de la PMA au libre choix du sexe de l’enfant. Très vite Joseph Shenker du Kiryat Hadassah de Jérusalem en a été partisan. Plusieurs centres l’offrent ouvertement aux États-Unis dont celui du Dr N. Gleicher, à Chicago, ou, en Australie, le centre de Julian Savulsecu, ou de A. Malpani à Mumbai, en Inde. En décembre 2002 aux États-Unis, le Conseil de la Présidence pour la Bioéthique diffusait une enquête d’opinion dans laquelle un tiers des parents déclarent qu’ils auraient recours à la PMA pour choisir le sexe de leur enfant s’ils en avaient la possibilité. Hélas, en 1999, le Comité d’Éthique de la Société Américaine pour la Médecine de Reproduction (ASRM), celui même qui trois ans plus tard adoubera le tri des spermatozoïdes, ne prônera pas l’interdiction légale de la PMA et du diagnostic préimplantatoire pour choisir à sa convenance le sexe de son enfant, mais incitera vivement à le déconseiller, à le « décourager », considérant qu’il n’est pas « moralement adapté » [5]. Le Comité de l’ASRM affirme sa foi dans la liberté de procréation des individus et précise que seuls des risques documentés peuvent permettre d’en limiter l’usage. Le premier risque qu’il y voit est une distorsion du sex ratio, avec un déséquilibre socialement préjudiciable entre filles et garçons, comme en Chine ou en Inde. Le risque est ensuite que ce choix du sexe pour convenance personnelle n’ouvre la voie, déjà ouverte d’ailleurs, à « la quête de l’enfant parfait », à qui on aura évité, en plus du choix du sexe par le diagnostic préimplantatoire, l’écueil de maladies, graves ou non, à gène localisé, et pour qui on choisira éventuellement un jour, puisque la liberté y invite, la couleur des yeux ou la texture des cheveux, lissant la pente d’un eugénisme soft. Son objection la plus construite, le Comité de l’ASRM la dresse contre l’usage du genre pour établir une hiérarchie dans l’échelle des valeurs humaines, contre l’intention de privilégier une personne par rapport à une autre. Le libre choix du sexe de l’enfant contribue, pense le Comité, à enraciner des stéréotypes de genre dans la société et à engendrer une discrimination. De plus, on ne s’expose pas sensément à la contrainte et à la dépense d’une PMA juste pour choisir le sexe de son enfant, une démarche qui risque, enfin, de détourner d’objectifs plus utiles des moyens forcément contingentés. Unis, Julian Savulsecu, d’Australie, et Edgar Dahl, d’Allemagne, ont vigoureusement réfuté les Recommandations du Comité d’Éthique de l’ASRM sur l’usage de la PMA pour le libre choix du sexe de l’enfant, en déclarant que le caractère péremptoire de ses arguments n’avait d’égal que leur extrême faiblesse [6]. La PMA reste trop confidentielle, disent-ils, pour menacer l’équilibre des genres dans la société. Pour obvier à tout soupçon de discrimination des genres il suffirait de n’autoriser le choix du sexe qu’après le premier enfant en faisant opter pour le sexe opposé. La PMA n’impose sans doute pas à une femme un supplice physique pire que celui de la chirurgie esthétique, pourtant totalement libre. Quant aux allocations de ressources, au fond, libre à chaque citoyen et à chaque citoyenne de dépenser son argent comme il l’entend, d’ailleurs qui s’offusque des dépenses parfois somptuaires consenties pour la chirurgie esthétique ? Pas tout à fait, réplique Guido Pennings, philosophe de l’Éthique à l’Université Vrije de Bruxelles, pour qui la PMA pour des raisons de convenance pourrait s’accepter, à condition que les indications médicales gardent la priorité sur les indications sociales et que celles-ci ne profitent pas de subventions publiques.

Aux États-Unis, la sélection du sexe de l’embryon est une pratique courante des centres de FIV. Quand la FIV est justifiée par une stérilité, beaucoup de centres vérifient par diagnostic préimplantatoire, l’absence d’anomalie chromosomique des embryons avant de les replacer dans l’utérus de la femme. Ils en profitent pour identifier et choisir, selon la préférence des parents, le sexe de ces embryons replacés. Aux couples parfaitement fertiles, ces mêmes centres offrent la FIV et le diagnostic préimplantatoire comme une méthode infaillible, à 99,99 %-100 % proposent-ils, de concevoir un enfant du sexe désiré. Dans leurs publicités sur Internet ils expliquent que le tri des spermatozoïdes pour obtenir le sexe désiré de l’enfant n’est efficace que dans 60-70 % des cas. Ils démontrent avec des cas concrets que l’enrichissement du sperme en X ou en Y appauvrit tellement le nombre final de spermatozoïdes que les chances de fécondation deviennent dérisoires. Alors que le diagnostic préimplantatoire représente un investissement, précisent les réclames, qui garantit les résultats. La publicité passe vite sur le fait que la FIV coûte aux couples beaucoup plus cher que le trieur de sperme. Et qu’elle a des inconvénients. Pour la femme qui n’est pas stérile, l’épreuve psychologique est contraignante. La grossesse n’est jamais certaine après le replacement des embryons. Alors, pour réduire ces risques d’échec de grossesse après transfert, deux, voire trois embryons sont replacés dans l’utérus. La probabilité de grossesse multiple, jumeaux, triplés, explose. Et voilà des couples qui n’en demandaient qu’un ou une et qui se retrouvent, tout d’un coup, avec deux voire trois garçons, ou trois filles. L’envie peut se transformer en indigestion.

Dans les pays médicalisés, le débat agite surtout des idées, il n’est sans autre conséquence vraie que théorique. Les couples non satisfaits ne seront pas remboursés. Auprès de qui se plaindraient-ils d’ailleurs. Dans les pays en développement, ou du moins à accès limité aux soins, la question se pose de façon beaucoup plus cruelle et plus réalistement pratique. Dans sa clinique de Mumbai, en Inde, un pays à forte inégalité pour la consommation médicale et les niveaux de ressources, A. Malpani pratique la PMA et le diagnostic préimplantatoire pour faire naître des garçons [7]. Il milite pour, outre sa propre renommée, la liberté de procréation. Il se targue d’éviter ainsi l’avortement de fœtus filles et d’œuvrer pour l’équilibre, et la paix, des familles. Dans un pays où manquent chaque année plus d’un million de filles, avortées dès l’identification échographique de leur sexe, l’argument semble un peu dérisoire. Seuls quelques-uns, les plus fortunés, peuvent s’offrir le luxe d’un passage par un centre de PMA. Ils pourraient d’ailleurs tout aussi bien utiliser cet argent pour payer la dot de leurs filles. Mais cette technique de PMA pour la sélection du sexe est inaccessible aux plus pauvres, et ils sont fort nombreux. Eux n’ont pas d’autre choix, une fois commencée la grossesse non désirée, non planifiée, que d’espérer jusqu’au bout, l’échographie à la fin du deuxième trimestre de la grossesse, avoir conçu un garçon. Ils ne peuvent pas mettre au monde une fille sans dot, une de plus, qui ne pourrait pas se marier, qui resterait lourdement à leur charge. Dans les campagnes en Inde, les emplois pour les filles poussent moins bien que les plans de coton. Il faudrait donc avorter.

Quelques pays ont légiféré et interdit le choix du sexe pour convenance personnelle par diagnostic préimplantatoire. L’Inde a commencé dès 1994 par le Sex Selection Prohibition Act, la loi d’interdiction de la sélection du sexe. L’Australie a suivi, du moins dans les États d’Australie du Sud et de Victoria, par l’Infertility Treatment Act de 1995, la loi sur le traitement de l’infertilité. Pour les pays du Conseil de l’Europe, la Convention d’Oviedo de 1997 pour la protection des Droits de l’homme et la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine [8] stipule dans son article 14 que les techniques médicales prénatales, y compris donc la PMA, sont interdites pour des indications non médicales, par conséquent aussi le choix du sexe pour convenance personnelle [8]. Le Canada a interdit en 2003 la PMA et le diagnostic préimplantatoire pour les indications qui ne seraient pas médicales. Enfin, le Royaume-Uni, en 2004, a inscrit dans le Code de pratique de la HFEA, Human Fertility and Embryology Authority, la Haute autorité de santé en matière de médecine de la reproduction en Grande-Bretagne, l’interdiction du recours aux techniques médicales, notamment la PMA, pour le choix du sexe à des fins personnelles. Cette interdiction a force de loi, tout contrevenant se verrait aussitôt retirer sa licence d’exercice.

En Angleterre, un couple avec quatre garçons avait eu le malheur de perdre sa dernière-née, une fille de quatre ans. La femme avait après cette naissance subi une ligature de trompes. Le couple a demandé une dérogation pour un tri d’embryons à la HFEA qui a, assez hypocritement, répondu qu’elle examinerait toute autorisation de traiter ce couple que lui soumettrait un centre de FIV. Aucune clinique, même sans agrément, n’a osé solliciter l’autorisation de la HFEA et tous les centres ont refusé de prendre en charge la FIV de ce couple. Alors l’homme et la femme sont allés en Italie où les mœurs reproductives sont plus clémentes. Ils ont bénéficié d’une FIV, un embryon s’est développé. C’était un garçon ! Le couple a dit : non merci et il est rentré chez lui donnant l’embryon mâle à un couple stérile.

Ces lois citées ici d’interdiction de sélection du sexe ne concernent pas que la méthode de diagnostic préimplantatoire, il faudra donc y revenir. Elles s’adressent en effet à tous moyens médicaux détournés au profit du choix du sexe de l’enfant pour convenance personnelle. Si une grossesse est établie, et que le sexe ne « convient » pas, le tri d’embryons par diagnostic préimplantatoire n’est évidemment plus possible. Le choix du sexe ne peut se conclure que par un avortement. Il s’agit d’ailleurs, à ce moment-là, moins du choix que du refus du sexe de l’enfant déjà conçu dans cette grossesse en cours.

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